Vie en Grèce

Vie en Grèce

31/10/2015 : Misère du socialisme ou socialisme de la misère

Syriza, contrairement à ce que l'on pourrait penser est un parti normalisé qui a su s'intégrer au système politique de son pays. Il a fallu un peu de temps et la poigne de son dirigeant national.

Jusqu'au début 2015, ce dernier était à la fois le leader charismatique ce qui permettait de véhiculer un espoir et le maître d'œuvre de la mécanique du parti. Toute la dynamique se résumait dans le terme « Tsipras ».

Après la victoire électorale de janvier 2015, le pays changeait de nom, il s'identifiait avec Tsipras. Heureusement la troïka a su les démêler, elle a montré que le pays et Tsipras étaient deux choses différentes.

De son côté, Tsipras avait opéré la transformation de son parti. Il avait ouvert la porte aux intrigants qui ne se sont pas gênés pour l'investir. Il a également court-circuité la démocratie interne puisqu'il a accepté un accord que le comité central refusait et par la suite fait démissionner l'opposition de gauche pourtant bien enracinée. De plus celle-ci n'a pas réussie à obtenir de députés élus et est doublement bâillonnée.

Souvenons en France de Hollande entre 2002 et 2012, il a réussi l'exploit de maintenir en état le PS et d'éviter son explosion en louvoyant entre les différentes tendances ennemies entre elles.

Tsipras a fait de même depuis sa prise de pouvoir de la direction de Syriza après le départ d'Alavanos Alekos son prédécesseur. C'est peut-être ça qui lie le français au grec.

Le ver étant dans pomme et le virus de l'arrivisme infiltré, les conditions locales ont favorisés le reste.

D'abord, l'alliance contre nature avec ANEL a donné des leviers du pouvoir à des ambitieux en plus de ceux qui étaient infiltrés récents dans Syriza. Apparemment la gauche de Syriza a oublié de s'en émouvoir.

Autre signe qui aurait pu être annonciateur de revirement à venir, c'est le choix du Président de la République. Le candidat est choisi par le premier ministre. En 2014, Syriza s'est opposé à l'élection d'un candidat de droite. Jusque là rien d'anormal.

Après l''élection d'un nouveau parlement en janvier 2015, revient sur la table celle du Président de la République. Et Tsipras qui a le choix, choisit immédiatement un candidat de droite, lui qui s'y était opposé précédemment. Une majorité simple aurait suffit. Et sa gauche ne semble pas s'en inquiéter.

 

Mais Tsipras, seul a accepté de signer le troisième mémorandum. Auparavant avec Varoufakis, ils avaient dit que s'ils ne pouvaient pas assurer un programme anti-austérité, ils se retireraient. Varoufakis l'a fait, de plein gré ou forcé, il aurait composer avec le gouvernement actuel et y participer comme le fait le très respectable ministre des finances actuel Stathakis, celui qui a omis de déclarer un million d'Euro dans ses impôts. Tsipras l'a fait aussi mais pour essayer de mieux rebondir.

S'il l'avait fait en disant « nous laissons à la droite le soin de gérer l'austérité, ce n'est pas notre boulot », son image n'aurait été que grandie. Maintenant la droite de l'austérité peut se permettre de voter contre le nouveau mémorandum alors qu'elle a signé les yeux fermés les deux précédents.

Aussi, après la deuxième élection législative de l'année qui a fait suite au référendum, l'image de Tsipras et de Syriza se retrouve bien écornée.

Syriza n'est plus qu'un machine à la botte du chef, les opposants l'ayant quitté.

Tsipras doit alors redorer son image.

Pour cela la méthode américaine très prisée par les médias grecs : la « pipolisation » de la vie politique. Alors nous voyons Tsipras déguisé en pilote d'hélicoptère avec à son revers une étiquette portant la mention Alexis Tsipras, Premier Ministre aux commandes d'un appareil, le même en treillis militaire prenant un bain de foule avec les soldats d'une caserne ...

 

Comme déjà dit Syriza doit maintenant assurer sa base électorale.

Ayant déçu une partie de sa base populaire et bénéficiant d'une marge de manœuvre ridicule généreusement octroyée par la Troïka, il va essayer de couper la Grèce en deux pour récupérer la partie la plus pauvre et la dresser contre l'autre.

Ainsi au nom d'un socialisme de bas étage, le gouvernement gauchit son langage au détriment de sa pratique : la lutte des classes est remise à l'honneur et dans les lois à venir deux victimes privilégiées : les couches dites moyennes et les petits paysans et parmi eux les retraités, ces « bouches inutiles » comme avait dit à l'époque un député français UMP et les fonctionnaires.

 

Commençons par la paysannerie.

Contrairement au reste de l'Europe, il y a beaucoup de petits paysans professionnels à plein temps et d'autres à temps partiel. Ils arrosent en grosse partie la consommation courante des grecs. Ces derniers importent peu, exportent peu et vivent surtout de la production locale.

La grande distribution n'est pas aussi développée que chez nous et n'a pas le même pouvoir. Les circuits de distribution sont courts et sont surtout assurés par les petits paysans qui vendent leurs propres productions dans les marchés ruraux et urbains (qui sont très développés). Bref, ce qu'on aimerait voir se développer en France.

Une grosse partie de cette paysannerie n'arrive pas à vivre de sa production et doit compléter par un emploi salarié. Ce sont des demi-paysans, ils touchent un salaire d'un côté et sont producteurs d'un autre côté. On s'arrange en famille car la solidarité familiale est un concept fondateur de la société grecque comme dans une bonne partie des Balkans.

La Troïka impose la rénovation de l'agriculture pour en faire un instrument compétitif tourné vers l'exportation.

Le gouvernement en prend acte et commence une opération de dénigrement du monde rural : les paysans sont accusés de bénéficier de privilèges exorbitants comme des caisses d'assurances sociales bon marché, de caisses de retraite du même ordre, d'avantages fiscaux comme des défiscalisations pour le combustible (diésel, fuel …). Ces avantages sont hérités des années où les gouvernements en place voulaient lutter contre l'exode rural et s'y sont ajoutées les aides à l'agriculture européenne.

Ils est donc aisé, par la magie du verbe, de transformer des avantages en privilèges. C'est déjà arrivé dans les langages gouvernementaux d'opposer grévistes et usagers, employés du privé et fonctionnaires, retraités et travailleurs et j'en passe.

Il en va de même ici et s'il y a comme partout des dérives, l'amalgame se fera comme d'habitude au détriments des plus faibles.

En ce qui concerne les grandes propriétés militarisées comme dans les latifundia sud-américaines qui emploient de la main d'œuvre étrangère à très bas prix, elles méritent ces avantages qui lui permettent d'affronter la concurrence et de générer de l'exportation, ce que la troïka exige.

 

Revenons à la lutte des classes. Il est mathématiquement facile de créer des classes sociales comme le père Sarko l'avait fait en France sans créer de scandale.

Sous l'ère Sarko, en-dessous du SMIC on est chez les « gens d'en bas », au-dessus ce sont les classes moyennes. Ça va à l'encontre des conceptions sociologiques. Les avantages sociaux sont dans l'ensemble plafonnés à un revenu de smicar, dépasser d'un centime le SMIC fait perdre tout avantage.

Hollande s'est chargé de maintenir cette grille de lecture.

On va faire pareil en Grèce. La frontière est fixée à 1000€. Tout revenu de plus 1000€ sera considéré comme un revenu de privilégié. Le peuple grec est donc partagé en deux : les prolétaires et les nantis. Triste dialectique de type primaire !

Actuellement le service des impôts demande à chaque grec de déclarer tous ses biens, immobiliers et numéraires. Les comptes et les biens immobiliers en Grèce ou à l'étranger doivent être déclarés ainsi que le montant des sommes qui y sont déposés. Toute fausse déclaration ou oubli devrait être sanctionné par une confiscation de ces avoirs.

Cette demande, si elle devait concerner la lutte contre l'évasion fiscale, pourrait sembler opportune. Mais si c'est une vision défendable, elle va servir dans un autre but et ceci dans un but qui paraît moins reluisant voire pervers.

En effet, en la Troïka exige des baisses de retraite ainsi que l'augmentation des cotisations associées à un passage de l'âge de départ à 67 ans pour une retraite complète et suppression des départs anticipés. Ainsi les projets de réforme envisage d'intégrer le patrimoine immobilier et financier dans le montant de la retraite versé. 1,2 milliards d'euros doivent être dégagés.

Cela veut dire que quelqu'un qui possède un appartement et une épargne verra le montant de sa pension amputé d'une somme calculée par l'administration selon des règles non encore édictées par rapport à celle qu'il aurait touché s'il n'avait rien possédé et si sa pension était calculée uniquement sur les salaires perçus.

Autant dire que ça bouillonne dans les chaumières !

Les pronostics laissent entendre que les actuels retraités vont perdre environ 30% de leur revenus s'ils dépassent actuellement la barrière fatidique des 1000€.

Un enseignant dont la retraite de départ était prévue en 2011 pour une somme de 1700€ l'a vu, suite au deux premiers mémorandums, tomber à 1200€ et on pense qu'elle va baisser à compter de 2016 à 700€.

Qu'en pensez-vous ?

La Troïka impose des coupes budgétaires. Tsipras a obtenu que s'il les réalisait, il pouvait en gérer les modalités sous réserve que ces modalités lui convienne. Et donc il entend pouvoir gérer ce qui donnera l'impression que le gouvernement n'est pas que sous la pression des européens, qu'il a des marges de manœuvre.

Mais ces quelques marges de manœuvre, les grecs le payent un prix très fort, plus élevés que ce que les gouvernements précédents lui ont fait payer.

Un système pervers est en train de se mettre en place au nom d'un certain « réalisme socialiste » (le terme est de l'auteur).

 

En ce qui concerne la fonction publique, la Troïka exige la baisse du budget consacré à la fonction publique ce qui généralement signifie licenciement de fonctionnaires. Mis à part un plan classique de départs volontaires, il semble que l'on s'oriente vers la non suppression de fonctionnaires mais vers la baisse de son coût ce qui revient à des baisses de salaire. La politique contractuelle va prendre le relais.

Comment vont être attribués les salaires ?

Le gouvernement annonce une redistribution des rôles en fonction des compétences et une mise en évaluation ds agents de la fonction publique dès janvier 2016. Comme cela ne va pas être quelque chose de construit et que sa mise en place est imminente, on peut s'attendre à ce que les petits chefs se gavent et que les rancœurs, sympathies, influences, passe-droits et compagnie fonctionnent à merveille.

Belle méritocratie et belle déchéance. Cours vite camarade, l'arbitraire arrive à grand galop !

 

De toute manière, malgré la « marge de manœuvre » accordée pour l'élaboration des modalités d'application des mesures imposées, c'est la troïka qui validera ou non les modalités d'application. Autant dire que cette dite marge de manœuvre est relative comme déjà dit.

Si le socialisme à la Tsipras s'applique, les moins de 1000€ mensuels ne vont pas vivre mieux et les couches moyennes majoritaires dans le pays vont se paupériser.

Quand aux riches, ils ont déjà pris leurs précautions et le système ne pouvant changer entre maintenant et le premier janvier 2016, leurs filières échappatoires sont bien rodées.

 

Vient aussi le temps de la mise en route des privatisations. Lors de sa visite en Grèce, hollande ne l'a pas caché, il compte bien que la France profite du partage du gâteau grec. Venu avec une cohorte d'hommes d'affaires, ce n'est pas la Grèce qu'il est venu soutenir mais prendre sa part de marché.

Les créanciers exigent la privatisation de la distribution de l'eau à Athènes et Thessalonique. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois. Ils l'avaient exigé des précédents gouvernements mais la population s'y était opposée. Les municipalités avaient procédé à des référendums qui avaient rejeté la privatisation. Comble, le Conseil Constitutionnel avait déclaré ces privatisations anticonstitutionnelles.

Vont s'ajouter la privatisation des ports, aérodromes, télécoms, tout cela convoité par les entreprises allemandes.

 

Au niveau politique, Tsipras compte fait un coup médiatique auprès du public grec avec la renégociation de la dette après le passage à la cure d'austérité budgétaire. Mais quand les créanciers aborderont sérieusement ce problème ?

Objectif immédiat : recapitaliser les banques de façon à ce qu'elles puisent évoluer librement. C'est maitenant que les Stress Tests doivent parler. Leur interprétation est assez opaque et c'est la Troïka qui tranchera.

En cas d'impossibilité de recapitalisation, car il faut des fonds, avant la fin de l'année, ce sont les déposants de plus de 100000€ qui devront financer la recapitalisation de leurs banques comme ça avait été fait à Chypre. C'est une réglementation européenne mais des bruits courent, fondés ou non, qu'il serait question de ramener les 100000€ à 30000€ pour la Grèce de quoi faire trembler les petits épargants et petites entreprises.

C'est pour ça que Tsipras fait du zèle auprès des créancier de façon à pouvoir obtenir des fonds de recapitalisation rapidement et éviter l'effet dévastateur d'une ponction sur les déposants.

 

En attendant, les dockers des ports, les employés des sociétés des eaux, ceux des aéroports et bien d'autres risquent de bouger.

Les agriculteurs qui sont très vifs et inquiets sont prêts à bouger et sont capables de paralyser le pays.

Une situation similaire à celle des évènements de 2005 en France est envisageable.

Alors, les jours de ce gouvernements sont peut-être comptés.

C'est un pronostic qui avait été élaboré déjà fin 2014 par des analystes grecs : ils prévoyaient une courte parenthèse Syriza.

 

L'avenir le dira.



01/11/2015
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