Vie en Grèce

Vie en Grèce

07-03-2016 : Tragédie grecque et trahison.

Dimanche 6 mars à Marseille a eu lieu la présentation du film « Je lutte donc je suis »en présence du réalisateur Yannis Youlountas.

 

N'a pas été abordé, plus ou moins volontairement, le thème de la « trahison de Tsipras » bien que ce fut en filigrane.

 

C'est pourquoi j'aimerais en profiter pour essayer de clarifier ce qu'on a appelé la capitulation ou la trahison de Tsipras en utilisant l'un ou l'autre terme suivant le degré de déception que l'on ressent.

 

Je voudrais tout d'abord indiquer que la capitulation ou la trahison de Tsipras était inscrite dans les gènes même de Syriza.

Lors de la naissance de cette coalition autours de Synapismos (Syn) dirigé par Alékos Alavanos se sont fédérés des composantes inconciliables comme des sociaux-démocrates dissidents du PASOK, des euro-communistes, des maoïstes, des trotskistes de droite comme de gauche, des anarchistes, des autonomistes et même des indéterminés.

Bref tout un ensemble ingouvernable dans une même organisation ce qui est quelque chose d'incompréhensible pour un esprit français.

Cette coalition s'est dotée d'un jeune leader, un dénommé Alexis Tsipras et les média français à l'époque ont fait le parallèle inadéquat avec le NPA et son jeune leader qui était au sommet de sa popularité, un certain Olivier Besancenot.

Il faut bien comprendre que pour maintenir ce chaudron, éviter son implosion et les scissions, il a fallu magouiller, concéder et ce avec un art peu commun. C'est ce qu'a réussi à faire Tsipras.

Tsipras a fait comme Hollande au sein du PS pendant 10 ans après 2002 pour maintenir un parti en état alors qu'il était au bord de l'implosion et maintenir un équilibre entre les différents courants.

Au sein de Syrisa les multiples différents courants étaient plus antagonistes qu'au sein du PS. Un ciment pourtant : au sein du parlement, opposition systématique à toute proposition et dénonciation des scandales nombreux à l'époque.

Tsipras a réussi à maintenir la cohérence de la coalition malgré quelques petites scissions dont celle d'Alavanos qui créé un nouveau mouvement « Plan B déjà !) et celle de Kouvelis qui créé la Gauche Démocratique et en échange adhésion de quelques petits groupuscules insignifiants.

Son audience électorale se situe entre 4 et 8%.

Tsipras était essentiellement un homme d'appareil, un conciliateur mais aussi un manipulateur. Il lui faut aussi bien contenir l'implosion que se maintenir en place. Comme dit dans un article précédent, Zoé Konstantopoúlou à la télé grecque a révélé que Tsipras était un manipulateur et qu'il les avait bien manipulé (dans une interview au journal Protothéma du 08/02/2016 elle fait des révélations sur ce qu'elle appelle la capitulation de Tsipras).

 

Ainsi lorsqu'arrivent les législatives du 6 mai 2012 faisant suite aux émeutes du 10 février, à la surprise générale Syriza est en deuxième position envoyant le PASOK à la poubelle.

Pour la première fois et contre nature, la perspective de l'accession au pouvoir se fait jour.

Tsipras saute sur l'occasion : oui Syriza doit prendre le pouvoir. Ça signifie affronter la réalité du système pour s'y couler et donc renoncer à une vision anticapitaliste ce qui est aux antipodes de la pensée des militants. Les électeurs n'ont pas voté pour un gouvernement socialiste mais contre les partis classiques corrompus. Le pouvoir donc d'abord le socialisme pour plus tard.

Pour cela en bon homme d'appareil, il attaque la transformation de son organisation. Premier objectif, sa sauvegarde à la tête de l'appareil. Pour ce faire, il prépare la mutation à droite pour éjecter son aile gauche intransigeante sur les principes, objectif qu'il atteindra en 2015. Il l'ouvre à tous les transfuges opportunistes du PASOK et même pour certains de ND. Tous ceux qui veulent sauver les meubles et se placer dans le sens du vent dominant s'y ruent. On y retrouve des gens qui ont signé le mémorandum en cours sans même le lire et des opportunistes de tout poil. Ce qui compte, c'est qu'ils fassent contre-poids face aux classiques fidèles de l'esprit Syriza.

Il semble que Tsipras ne soit pas d'une intelligence extraordinaire mais un excellent stratège.

Les grecs ont beaucoup raillé son ignorance de la langue anglaise. Il prend vite des cours accélérés de cette langue. Il ont aussi raillé son style. Ils disent qu'il singe celui pour lequel il aurait une grande admiration, Papandréou père, celui des année 80. On dit qu'il reprend toutes les mimiques de son idole au point de lamentablement mais efficacement semble-t-il le mimer. Par contre il ne soulève pas autant que lui les foules. Surtout, il ne cherche pas à faire accompagner par un mouvement social l'accession de son parti aux commandes de l'état.

Il est vrai qu'entre 2011 et 2012, les manifestations et grèves ont été violentes parce qu'aucune issue ne faisait jour. Mais depuis les deux consultations de 2012 un espoir apparaît. Les grecs sont fatigués et remettent leur résistance dans le verdict des urnes à venir. Les manifestations de rues se ralentissent et on attend patiemment l'issue électorale.

Un immense espoir renait et beaucoup de gens qui n'auraient jamais ordinairement voté pour un parti d'extrême-gauche sont prêts à franchir le pas.

Il faut dire qu'en Grèce les élections ne sont pas qu'un simple choix de candidat en fonction de sensibilité politique mais correspondent à un vaste lobbying des candidats.

L'électeur doit cocher dans une liste de candidats un certain nombre de noms, par exemple trois.

Les candidats envoient lors de leur campagne électorale, une armada de gens qui contactent des électeurs potentiels non pas forcément en fonction de leurs opinions mais de leurs besoins leur laissant entrevoir qu'en cas de succès électoral on va réaliser ce qu'il leur est refusé, un travail pour le chômeur, un permis de construire qui celui qui n'arrive pas à l'avoir, une place dans une maison de retraite pour la mémé, etc...

Les élections sont, pour une partie des électeurs, l'occasion d'obtenir un avantage que l'état, profondément détesté, leur refuse. Pour le grec, l'ennemi du citoyen c'est l'état et il existe une sorte de donnant-donnant entre les deux : pour l'état, tu me laisse magouiller en paix en échange je fais des lois que tu peux contourner. Ainsi chacun magouille de son côté et c'est non seulement un fonctionnement normal mais aussi un passage obligé.

Et pour une fois le système politique binaire a implosé depuis 2012 et on peut voter pour un espoir.

 

Un prétexte pour des élections anticipées dans lequel Tsipras va s'engouffrer, à tort à mon avis. C'est l'élection du Président de la République fin 2014. Samaras doit clôturer le mémorandum 2 avant d'aborder les présidentielles. Pour le faire en beauté, il invente (ou non, on ne saura jamais trop) l'existence d'un excédent budgétaire primaire qui conclurait positivement sa politique d'austérité. Mais la troïka ne l'entend pas de cette oreille et exige de nouvelles mesures d'austérité qu'il ne peut pas faire appliquer sans risque d'émeutes en échange du dernier versement.

Aussi négocie-t-il tant qu'il peut pour éviter ces mesures voire secrètement à Paris mais sans succès. Alors a-t-il voulu se suicider politiquement avec les Présidentielles ? Les propositions de candidats à la présidence n'aboutissent pas. Il aurait même essayé de présenter un candidat de « gauche » (Kouvelis) mais celui-ci aurait refusé (Kouvelis dément avoir été sollicité) mais la Syriza Nouvelle n'attend que l'échec pour de nouvelles législatives qu'il emporte en janvier 2015.

 

Après l'alliance contre nature avec la tête brûlée Kamenos (c'est le cas de le dire, kaménos signifiant brûlé), Tsipras dans l'indifférence générale fait élire un président de droite (!).

Deux signes qui auraient du alerter, Tsipras semble prêt à tout y compris à s'allier avec le diable au mépris de l'éthique.

Le mémorandum 2 n'avait donc pas été achevé fin 2014 et le dernier versement n'avait donc pas été effectué car il ne se ferait qu'en échange des réformes sévères que Samaras n'osait pas imposer et que la troïka exigeait du nouveau gouvernement. Ce dernier ne pouvait se passer de ce versement, les caisses de l'état étant vides, il était en demande voire en manque comme un drogué.

A cette époque déjà il me semblait que Tsipras qui, comme déjà dit, a fait élire un président de droite aurait pu « sauver » le lieutenant Samaras en acceptant un président de droite et obligeant ainsi Samaras à clôturer le mémorandum 2. A l'issue de ce dernier deux possibilités :

ou l'économie se redressait lentement et fort de son aura et du discrédit de Samaras, Syriza emportait les législatives de juin 2016 haut la main et pouvait entamer un vrai changement.

ou l'économie stagnait et des élections anticipées arrivaient que Syriza remportait mais dans une Grèce sortie des mémoranda.

 

Je pense, version personnelle, que Tsipras dès mai 2012, a appliqué les principes léninistes qui ont bercé sa formation politique initiale à savoir : un pas en avant deux en arrière, s'allier avec le diable s'il le faut, prendre le pouvoir et ne pas le lâcher quitte à repousser à plus tard la construction du socialisme.

 

Trahison ou pas trahison de Tsipras, je pense que c'était écrit dans la structure même de Syriza.

 

J'en profite pour parler aussi des manifestations en Grèce. Si elles ressemblent à celles de France quand on en voit des extraits télévisés, elles ne se font pas dans le même contexte ni dans la même forme.

Tout d'abord face aux manifestants se trouve la police anti-émeute (MAT) qui ressemble dans son allure aux CRS de chez nous. Mais il faut savoir que ce sont des machines à taper qui ne savent faire que ça et qu'ils sont acquis aux thèses d'Aube Dorée. On dit qu'ils datent du régime des colonels. L'ordre ne leur plait pas et lorsqu'il y a des matchs de foot ils sont les premiers à provoquer les spectateurs à la sortie des stades. Généralement ce sont eux qui sont à la base des incidents.

Ils ont aussi du lacrymogène à revendre et le distribuent dans des proportions effrayantes.

Ils sont assistés par des motards (deux flics par moto) un qui conduit et l'autre qui tape avec sa matraque. Ce sont les Deltas. D'une grande mobilité ils sont redoutables. Il était question de les dissoudre mais ils sont toujours là.

En face, la plupart des manifestations sont constitués de groupes autonomes qui ne se mélangent pas et même s'ignorent. Au pire ils se côtoient sans plus.

Chacun a en général son service d'ordre armé de manches de pioche surmontées d'un drapeau et portant à la main un casque de moto. Si un groupe antagoniste s'approche de trop près, les casques passent sur les têtes et le S.O. se déploie. S'ils défilent sur la même artère mais en sens inverse, ils convergent donc l'un vers l'autre et pour éviter l'affrontement l'un des deux défilés prend l'initiative d'obliquer dans une rue perpendiculaire.

Il y a aussi les anarchistes qui aiment bien en découdre et surtout les cagoulés. Ce sont des individus d'une violence extrême, il ne faut pas se trouver sur leur chemin (j'en ai fait l'expérience) qui sont là pour en découdre. Des sacs de cailloux sont parfois préparés et disposés à l'endroit voulu pour les affrontements. MAT et cagoulés s'attendent. On dit qu'il y a des flics en civils parmi eux chargés de faire dégénérer les manifestations.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les manifestations puissent dégénérer, c'est généralement entretenu.

Dès qu'il y a manif, il y a la violence est en filigrane même si elle n'éclate pas ou se produit dans des endroits très circonscrits.

 

Les conversations des gens ont changé depuis 2012.

Contrairement à la France, dès qu'il y a rassemblement les gens discutent et parlent fort. Dans les bus bondés, dans les s alles d'attente des hôpitaux, dans les queues aux impôts ou divers administrations, de nature bavards et curieux, les gens engagent la conversation et volontiers de leurs problème.

De 2012 à début 2015, les sujets de discussion étaient tournés essentiellement sur les élections. Il en ressortait un discrédit des partis traditionnels et un grand espoir de renouveau national.

Depuis le troisième mémorandum, j'entends un nouveau refrain dominant : « plus jamais la gauche » et « ils sont tous pareils, ça ne changera jamais ».

Face à la façon dont est traitée la Grèce sur le problème des migrants et la menace d'exclure le pays de l'espace Schengen, l'idée se fait tout doucement jour qu'ils seront un jour éjecté de la zone Euro.

Pourquoi les grecs sont-ils attachés à l'Euro ?

Tout d'abord, ayant subi 400ans d'occupation ottomane dont ils se sont récemment émancipés, les grecs ont un besoin culturel important de ne plus se sentir rattachés à l'orient et donc par opposition être rattachés à l'occident malgré la position de vassal que lui a fait subir depuis 1820 ses protecteurs européens (France Allemagne, Angleterre aux quels se rajoutent la Russie). La Turquie voisine dont les différents régimes continuent à cultiver culturellement la nostalgie de l'empire reste l'ennemi.

De plus l'occident et surtout l'Europe porte l'emprunte de la culture grec antique.

L'adhésion à l'Europe et à l'Euro était pour eux un encrage culturel qui marque bien la frontière avec l'orient dont ils continuent à garder l'héritage dans les chansons et danses.

Par un simple calcul économique, le grec moyen ayant perdu environ 50% de son pouvoir d'achat de par la crise de 2011, en cas de Grexit, il perdrait encore environ 50% en dévaluation.

Ainsi celui qui gagne actuellement 500€ mensuels se retrouverait en Drachmes avec l'équivalent de

250€ c'est-à-dire dans une situation voisine de celle de la Bulgarie.

Contrairement à ce dernier pays, hormis l'agriculture, la Grèce ne produit quasiment rien. Tout serait à acheter à l'étranger, les médicaments, les produits d'entretien, l'électroménager, en bref le nécessaire à vivre et les voitures.

Le coût de la vie flamberait encore et l'accession aux biens de consommation courante deviendrait presqu'impossible.

En clair la chute dans la misère. Qui pourrait accepter ça ?

On se résigne donc à son sort dans le cadre de l'Euro en se disant que c'est moins pire que ce serait hors de l'Euro.

A cela s'ajoute le risque de conflit. En effet la Grèce dans l'Europe, c'est une protection contre les agressions de la part des pays voisins. La Turquie a toujours un penchant expansionniste et les grecs en ont fait l'expérience avec l'invasion de la partie Nord de Chypre et le gardent en mémoire.

Hors de la sécurité européenne, pays affaibli, il redeviendrait une proie tentante pour le voisin, ancien occupant, qui a réussi, lui par contre, une mutation en état moderne. A cela se rajoute le retour à l'état de déliquescence des Balkans qui avaient été mis sous cloche pendant près d'un siècle.

 

 

Même si le découragement a atteint la population, on sent que tout peut se produire à tout moment. Une étincelle peut mettre le feu au pays.

 



09/03/2016
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