Vie en Grèce

Vie en Grèce

01/02/2018 : La Grèce bouge.

Dimanche 21 janvier un événement important s’est produit en Grèce, en particulier à Thessalonique.

Quand je suis arrivé en Grèce plusieurs choses m’ont interpellé comme on dit. D’abord au niveau pratique, les toilettes privées ferment rarement à clé.
Autre chose encore, j’avais l’impression de que les grecs passaient leur temps à se chercher querelle. Non en réalité, ils discutent et, pour nous, on a une impression de violence verbale qui n’a pas lieu.
Ensuite, la grande majorité des femmes portent autour du cou une croix, particulièrement dans la fonction publique ce qui est interdit en France. Les femmes communistes n’y font souvent pas exception.
Dans les manifestations, nous pouvions voir des drapeaux à l’effigie de Marx, Engels, Lénine et Staline, inconcevable en France.
A l’époque il existait une organisation du nom de Syriza où cohabitaient trotskistes, maoïstes, sociaux-démocrates, anarchistes et cela me paraissait inconcevable en France.
Ce qui me paraissait une affaire de clochemerle c’était le slogan, écrit en gros sur la façade d’un immeuble dans le centre de Thessalonique : « La Macédoine est grecque ». Et qui plus encore, quelque soit le parti de l’échiquier politique, tout le monde y adhérait, Syriza compris.

 

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         La Macédoine est Grecque

J’ai donc compris qu’il fallait que j’enlève, comme aurait pu dire Marx, mes « lunettes d’occidental rationaliste ».
Les grecs sont très attachés à l’Europe malgré tout ce qu’elle leur fait subir. Pire ils manient l’autoflagellation en se disant responsables de leur situation alors que ce sont leurs gouvernants uniquement qui sont responsables. Mais ça fait rien, ils ont besoin de culpabiliser !
Pour revenir au sujet qui nous concerne, le problème de la Macédoine est une événement important.
Il peut éventuellement faire tomber le gouvernement.

Je citerait Olivier Delorme, spécialiste de la Grèce et des Balkans, bien connu pour ne pas être un nationaliste. Dans son ouvrage qui fait autorité sur le sujet « La Grèce et les Balkans » on peut lire à propos du problème du nom de l’ARYM (p 1867): « On est donc loin de Clochemerle dans cette question où la Grèce estime que ses intérêts vitaux sont en jeu ... ».
Cet événement est difficile à comprendre pour nous européens de l’ouest et moi-même j’en ai encore du mal tellement il bouscule nos façons de voir. Mais je crois qu’il est de mon devoir de sociologue de présenter le plus clairement possible les choses.
Présenter, expliquer ne signifie en aucun cas adhérer. J’ai encore le souvenir amer que lorsque le non au référendum français sur la constitution européenne l’avait emporté, nous avions été traité, nous qui avions voté non, de fascistes et pas par n’importe qui, un certain Daniel Cohn Bendit. C’est très facile de nier un problème par des invectives sommaires. Je ne voudrais pas ici que nous retombions dedans.

Il s’agit donc du problème du nom de l’ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine). L’Europe voudrait, je ne sais pourquoi (peut-être a-t-elle besoin de sucer jusqu’à la moelle les déchets des empires déchus), intégrer l’ARYM et le premier pas passe par son adhésion à l’OTAN. Les américains poussent par derrière pour faire un barrage aux éventuelles désirs de pénétration russe aux portes de la mer Égée. L’ARYM et la Grèce ne sont jamais arrivés à se mettre d’accord sur le nom du futur état que prendrait le premier. Les grecs se sont toujours opposés à ce que le terme de Macédoine y figure.
A l’époque où cette province (ARYM) faisait partie de la Yougoslavie, de par son absence de ressources et d’industrialisation, elle avait peu à apporter à la fédération yougoslave et même pouvait y être un poids lourd à porter. Elle n’avait même pas de débouché sur la mer contrairement à sa voisine grecque.
Le grand rêve de Tito était de créer une grande Macédoine de la mer Égée, socialiste, autonome voire indépendante (comme de par le passé avec la dynastie du roi Philippe) et incluant la partie macédonienne grecque et dont la capitale serait Thessalonique, jouissant alors de l’histoire de la Grèce antique.
Pour cela il fallait revendiquer la partie grecque et pour ce faire Tito a compté sur l’aide des communistes de Grèce. Ces derniers, assez opposés à cette option, ont fini par l’accepter sous le chantage titiste. En effet, il faut rappeler, que les communistes grecs, lors de la guerre civile, étaient personnes « non grata » dans leur propre pays et avaient besoin de l’aide maximum de leurs voisins communistes. Aussi Tito n’a pas eu trop de mal à leur faire avaler la couleuvre, chose que les communistes ont eu souvent l’habitude de faire.
Ce rêve ne s’est pas réalisé mais la propagande titiste a imprégné les populations locales de cet idéal. L’explosion de la Yougoslavie a été assez sanguinaire. L’ARYM y a obtenu son indépendance. Il est composite au niveau population et a des minorités (serbes, albanais , roms). Sa langue officielle, le macédonien, est un dérivé du bulgare et n’a rien à voir avec le grec. Ses racines culturelles et historiques sont éloignées de celles de la Grèce. Le roi de Macédoine dans le passé était Philippe et Alexandre le Grand son fils qui avait pour précepteur Aristote, tous trois de culture grecque. Philippe est enterré en Grèce à Verginia.
C’est un état pauvre, non industrialisé et instable. La technique traditionnelle pour unifier un pays autour de son gouvernement est soit la guerre soit une idéologie fanatisante. Notre époque est bien placée pour nous le démontrer.
L’idéologie existait, la propagande était fraîche, il a suffit de la réveiller. Une attitude plus ou moins agressive permettait d’en faire le ciment.
D’un autre côté, la Grèce a un autre voisin agressif avec la Turquie. Les violations du territoire aérien et maritime grec sont monnaie courante et l’annexion de la zone est de Chypre a montré par le passé que la volonté expansionniste n’était pas un fantasme. Quant à l’arrivée au pouvoir d’Erdogan, elle contribue à démontrer le côté incontrôlable et expansionniste de ce gouvernement qui lui aussi le justifie par une propagande idéologique auprès de ses sujets.
Erdogan remet en question le traité de Lausanne (1923) qui a fixé les frontières entre Grèce et Turquie. Il revendique à l’heure actuelle 8 îles grecques. De plus, il intervient actuellement militairement hors de ses frontières. Serait-ce une grande répétition comme l’Allemagne réarmait entre les deux guerres mondiales aux yeux et à la barbe des français pour mieux attaquer par la suite ?
La Grèce qui fait partie du monde des Balkans, ne l’oublions pas, se trouve alors entourée d’incertitudes. Son appartenance à l’Europe la protégerait (?)d’une intervention extérieure d’un voisinage agressif et vis-à-vis de laquelle son armée ne fait pas le poids.
C’est aussi un des éléments à considérer et qui complique un Grexit.
Pour avoir une idée de l’agressivité de l’ARYM envers la Grèce, dans le compromis arrachés par les Américains (qui ont réglé à leur manière le conflit yougoslave que l’Europe n’arrivait pas à résoudre) entre la Grèce et l’ARYM le 13 septembre 1995, il est précisé dans l’article 6  que le préambule et l’article 3 de la constitution de l’ARYM ne pourront être interprété comme constituant « la base d’une revendication quelconque de sa part à l’égard de tout territoire qui ne se trouve pas à l’intérieur de ses frontières existantes ». (La Grèce te les Balkans, Olivier Delorme p 1872).
Dans cette même page, l’auteur indique : « Quant à l’article 49, l’ARYM reconnaît qu’il « ne peut et ne doit être interprété comme constituant et ne constituera jamais une raison d’intervenir dans les affaires intérieures d’un autre État en vue de protéger le statut et les droits de toutes personnes se trouvant dans d’autres États qui ne sont pas citoyens de la Seconde Partie (l’ARYM) ».
En clair, l’ARYM n’a pas le droit de revendiquer des territoires en dehors de ses frontières actuelles (1995) ni de vouloir y protéger par une intervention des minorités dans d’autres contrées hors de ses propres frontières.
S’il a été nécessaire de faire autant de précisions, c’est bien qu’il existait un désir expansionniste qu’il a fallu juguler pour assurer l’avenir.
Par contre les deux États doivent se mettre d’accord sur un nom officiel et définitif. Le gouvernement de Skopje a adopté le symbole de Verginia (ville grecque où est enterré Phillippe, ancien roi de Macédoine) pour drapeau national. Elle a donné à son aéroport et autoroute le nom de l’emblématique héros grec Alexandre le Grand (fils du précédent).
Petites mesquineries à notre échelle d’européens de l’ouest mais chose inadmissible pour un grec habitué à un environnement chargé presque quotidiennement de provocations des uns ou des autres. Tout ce qu’il faut donc pour éveiller la méfiance alors que les accords qui engagent l’avenir ne peuvent se faire qu’après une longue période de mise en confiance.
L’Europe et les USA pressent donc le gouvernement grec qui est depuis longtemps en discussion sur le nom définitif de l’ARYM en vue, comme déjà dit, de son intégration d’abord dans l’OTAN puis dans l’Europe. Or la Grèce, tant que le problème du nom n’est pas réglé oppose son veto. Tsipras est prié de régler le problème au plus vite. Avec sa faculté de prompte obéissance il en est bien décidé mais, en période préélectorale, l’électorat a quand même droit à la parole. Et ce dernier est contre le fait que l’ARYM puisse revendiquer le terme de Macédoine et on a vu quels en sont les enjeux.

Une manifestation a donc été prévue à Thessalonique, capitale de la partie grecque de la Macédoine (environ la moitié, l’autre moitié étant en territoire Arymien) pour le 21 janvier.
Un petit retour dans le temps s’impose. Il y a un tout petit peu plus de 100 ans que Thessalonique s’est libérée de plus de 400 ans d’occupation ottomane très sanguinaire (la littérature sur le sujet abonde). La mémoire collective, contrairement à ce qu’il conviendrait de penser, est encore vive et écorchée.
La république grecque elle est un peu plus ancienne. Contrairement à la France qui s’est constituée contre la royauté et le clergé, la révolution grecque s’est faite sous la bannière de l’église et celle-ci jouit encore et toujours d’un grand respect. Une grosse majorité des grecs sont croyants et pratiquants. Les fêtes religieuses rythment la vie civile des grecs comme le ramadan rythme celle des musulmans.
La Grèce fait partie de la zone trouble des Balkans qui est loin d’être pacifiée. Ce n’est pas parce que l’on ne parle plus dans les médias des états qui constituaient la Yougoslavie que cette zone est parfaitement calme et pacifiée.
Nous, nous avons dans notre culture, déconnecté avec les Balkans. Nous reste-t-il encore des souvenirs des atrocités de entre Serbes, Bosniaques et Croates ?

Cette manifestation a été un grand succès.

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Ça a été aussi un grand moment d’exaltation nationale. Mais il y avait très peu de nationalistes, ANEL, Aube Dorée, clergé étaient minoritaires. Se sont déplacés en masse, et c’est ça le grand phénomène, les gens du peuple pour qui ce problème les prend aux tripes. Ils sont venus pacifiquement, seuls ou en famille, avec le désir de renouer avec la rue. Ils ont plus été mobilisé par la « Macédoine » que par la restriction du droit de grève.
La mondialisation a fait éclater les frontières tout comme l’Europe qui en plus a détruit la souveraineté de la Grèce, et la cause nationale lui permet au peuple de reprendre la main. Elle est d’autant mobilisatrice qu’elle est inscrite au plus profond de chaque citoyen grec. Comme déjà dit, on peut augmenter les impôts et les taxes, baisser les salaires, diminuer les retraites, réduire le droit de grève mais pas toucher à la cause nationale.
Il ne faut pas confondre nationalisme expansionniste et restauration de la souveraineté nationale spoliée ou pouvant l’être. Malheureusement l’amalgame est très facile à faire.
Le langage courant des grecs fait souvent référence à la résistance, la force et à la bravoure (παλληκαριά).

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Ils ont conspué les partis politiques qui pour eux sont responsables de leurs malheurs. Enfin un sujet politique hors partis ! Ces derniers étaient dans leurs petits souliers, hors manifestation et à l’écoute de ce qu’il en sortirait.
Çà a été, non pas un rassemblement nationalo-fasciste comme on a pu le présenter mais un rassemblement populaire. Les Catalans indépendantistes (qu’on les approuve ou non) sont-ils tous des fascistes ?
Ça a donc été un grand succès malgré les premiers effets de déni. Au point que Dimanche prochaine 4 février une autre est prévue cette fois à Athènes. Mais tout le monde politique a enfin pris la mesure de la chose et tremble. Cette fois ils vont s’engager. Télés et presse se sont emparés du sujet et il n’est question que de ça en ce moment.

Chacun exprime à sa manière son opinion comme ce vendeur de marron.

 

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A propos d’engagement, Dimanche 28/01 dans le journal « Protothéma », une des deux grandes icônes de la Grèce s’est engagée aux côté des manifestants. Et c’est quelqu’un, qui non seulement inspire le plus grand respect et est mondialement connu, mais ne peut en aucun cas être qualifié de « nationaliste » ou de « fasciste ».
Il a consacré un entretien sur deux pages dans ce journal avec un titre emprunt d’humour.
Il s’agit de Mikis Théodorakis et il compte, si le temps le permet en raison de ses problèmes de santé, venir en personne et si le temps est défavorable en retransmission. Il en sera l’orateur principal.


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« Des manifestation d’une importance historique »
Mikis à Théma : « Ils sont stupides ceux qui contrarient
Skopje »

Les machines à sonder se sont mises en route et on titre déjà 76 % d’opposition au nom.


Sondage.jpg
76 % de NON dans la composition du nom de Skopje


La donne change !
En en prenant la tête, Mikis Théodorakis veut couper court à tout récupération nationaliste et ce rassemblement ne pourra être assimilé à l’extrême-droite.
Ce qui le rend populaire, c’est qu’il se fait à l’encontre des partis, toutes opinions politiques confondues. Il sera aussi le point de départ d’une vaste contestation de ce gouvernement parce qu’à force de subir … je vous laisse deviner !
Dimanche prochain ne sera pas une partie de tout repos. Syriza y joue son va-tout. La ND qui marche sur des œufs risque un éclatement et le centre gauche peut y prospérer.
Aussi, cette manifestation sera le noyau de provocations et il y a un grand risque de violences voire même d’émeutes.
Les provocations et violences seraient propices à en accuser les nationalistes et l’extrême-droite ce qui arrangerait le gouvernement et de plus la contestation de ce dernier serait alors occultée.
La manifestation peut aussi devenir un grand front du NON, non au nom de Macédoine mais aussi non à la politique gouvernementale.

Nous verrons ...

En attendant ce rendez-vous, les agriculteurs continuent leurs blocages. Aujourd’hui, premier février, ils ont fait le tour de Thessalonique toutes sirènes dehors provoquant des perturbations et se sont installés à la Foire.

Agriculteurs.jpg

On y entendait en boucle des chansons de Thédorakis redevenu le symbole de la résistance. Ils remettent ça le samedi 03/02, date de l’ouverture de Agrota, la foire agricole annuelle.


Un squat a brûlé dimanche 21/01 sous les Molotovs d’Aube Dorée.
Il en reste cependant d’autres.

Brulé.jpg  Squat.jpg

Une manifestation est annoncée pour mi-février (12/02).

Grève février.jpg



01/02/2018
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